Analyse critique du projet de décret relatif aux emplois supérieurs hospitaliers

A la suite de la loi n° 2019-828 du 06 août 2019 de transformation de la fonction publique (art 16 et 53), la ministre s’empresse de prendre
les mesures d’application des dispositions pour nommer des directeurs encore plus à la botte du pouvoir qu’aujourd’hui et là où les enjeux financiers
sont les plus importants. Ces directeurs relèveraient d’une catégorie nouvelle de contractuels appelés à occuper des emplois dits « supérieurs ». Pourraient être nommés sur ces emplois, d’une part des fonctionnaires dont l’indice terminal est au moins égal à celui de la hors échelle B et d’autre part des professionnels du secteur privé (lucratif ou non) ayant exercé à « un niveau comparable » de direction.

A noter que la limite antérieure du nombre d’emplois fonctionnels fixée à 10% de l’effectif est supprimée dans le projet ministériel.
Environ 800 emplois de DH et de D3S chefs d’établissement et adjoints sont potentiellement concernés, soit plus du sixième de l’effectif total.
Après ce « premier jet » permettant le détricotage à bas bruit des statuts de directeurs, on peut faire confiance à la ministre pour en élargir à l’avenir le champ d’application.

Il s’agit ni plus ni moins d’ouvrir les vannes de la contractualisation à durée déterminée (4 ans renouvelables une seule fois et sous conditions).
Avec ce dispositif inspiré de méthodes à la France Télécom, les fonctionnaires seraient progressivement mis en minorité puisqu’un très petit nombre de recruteurs pourraient recruter en dehors de tout contrôle et avis des CAPN et entre « gens de bonne compagnie » !

Le ver était dans le fruit car de telles dispositions, un peu plus encadrées, étaient déjà inscrites dans le protocole d’accord de 2011 signé entre la ministre d’alors et 3 des organisations syndicales représentatives des corps de direction (CFDT, FO et SMPS). La CGT l’avait d’ailleurs dénoncé à l’occasion des élections générales de 2011. Dans notre profession de foi électorale, nous avions écrit : « La précarisation des emplois de direction s’amorce avec le recours aux contractuels qui ira forcément croissant … », argument motivant entre autres notre refus de signer un protocole nuisible à la grande majorité des directeurs.

Se jetant sur l’os à ronger de comités de sélection comprenant leur participation, les signataires de 2011 ont avalé la couleuvre en troquant quelques postes bien primés pour un très faible nombre de collègues, ainsi qu’un arsenal de primes et  indemnités aussi aléatoires que ridicules au regard du temps de travail exigé. Ces syndicats se dispensent ainsi de mener des luttes unitaires pour obtenir une revalorisation des grilles indiciaires des directeurs. Ils s’abstiennent également de
rassembler les collègues dans l’action contre la mise en place des ratios promus/promouvables qui freinent les carrières des plus jeunes avec, au bout du compte, de fortes pertes de rémunérations et de pensions.

Aujourd’hui les mêmes invoquent le caractère particulier de la fonction publique hospitalière et l’autonomie juridique de ses établissements pour demander que les corps de direction soient exemptés de cette réforme néfaste, comme si l’heure était au juridisme !

LES OBJECTIFS DE LA MINISTRE ET DU GOUVERNEMENT

L’un des fondements de la loi de transformation de la fonction publique du 06 août 2019 est de promouvoir un recrutement et un management à rebours des principes républicains fondant notre fonction publique depuis 1945.

En poussant ainsi les feux sur l’emploi précaire, ce gouvernement entend développer une politique d’encadrement reposant sur une triple négation :

▪ Négation de la permanence des emplois de la fonction publique comme contrepartie indispensable à la continuité du service public pour répondre de manière égale aux besoins de la population.
▪ Négation des concours comme moyens de garantir l’égalité d’accès des candidats à la fonction publique et leur sélection sur la seule base de l’évaluation des mérites et compétences à travers les mêmes épreuves.
▪ Négation de la carrière comme instrument d’élévation sociale et de progression individuelle en s’appuyant sur la formation initiale et continue ainsi que sur la reconnaissance par l’avancement de l’expériences acquise sur des parcours diversifiés.

Cette triple négation correspond également à la volonté gouvernementale de structurer les emplois de direction en 2 groupes distincts, d’une part les chefs sur lesquels l’emprise politique de la haute administration et du pouvoir est totale, d’autre part la quasi-totalité des adjoints qui deviennent des directeurs de seconde zone. Ce parti pris réactionnaire entend limiter l’accès à certaines responsabilités à un nombre restreint de collègues choisis et rémunérés de manière différenciée, pour un temps déterminé et en fonction de la durée des missions, ces missions étant soumises aux aléas de décisions politiques et financières qui leur échappent pour l’essentiel.
Dans ce cadre, l’approche statutaire ferait place au cas par cas propice à l’arbitraire.

Quelle serait la politique de recrutement ? l’objectif est ouvertement de sélectionner des « profils de directeurs » tout dévoués, où l’obéissance zélée aux instructions l’emporte sur la défense des valeurs du service public, l’attachement à ces valeurs devenant au mieux un critère de choix subsidiaire. A quand la prestation de serment chère aux régimes autoritaires ?

Dans ce marigot, les jeux d’influence des réseaux et les accointances politiques, voire les relations avec les milieux d’entreprises et d’affaires, sont déterminants pour décrocher la timbale ! Dans le sillage de la « start up nation », la fonction publique est sommée de se mettre au diapason avec des emplois périssables et jetables au gré des choix politiques du prince, notamment la baisse de la « dépense » publique.

Les emplois dits « supérieurs » conviendraient mieux en réalité à un management de type féodal où l’esprit de cour serait un atout pour y accéder.
L’acceptation inconditionnelle et servile de l’austérité budgétaire sur le dos du public et des personnels serait « un plus » comme on dit dans les agences de recrutement, mais engendrerait inévitablement de lourdes répercussions sur la santé des personnels
et leur vie de famille.

La privatisation des services et des missions serait facilitée avec des directeurs issus du monde des entreprises, de la banque et des assurances. Il est vrai que l’exemple vient de haut…

CONCLUSION PROVISOIRE

Le potentiel des corps de direction est riche de compétences éprouvées et diversifiées qu’il faut entretenir et développer : c’est le rôle de l’EHESP à qui les moyens nécessaires à ses missions, notamment celle de former davantage d’élèves, doivent être rendus.

Les corps de directeurs doivent être gérés nationalement, en dehors de l’influence des ARS, et de manière plus équitable et transparente que ne le fait le CNG dont les missions seront prochainement revues à la baisse au prétexte de déconcentration d’actes de gestion… Une autre bataille en perspective !

 

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Publié le :
14 février 2020

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